I – Vinyāsa :  nyasa : pour placer et vi : d’une manière spécifique.

Il peut être traduit par : disposition, répartition, ordre, arrangement. La signification littérale de Vinyāsa peut être : placé dans des paramètres particulier, placer des paramètres spéciaux, variations dans les paramètres. Cela suggère donc plusieurs niveaux de compréhension et d’application.

  • Une intention, un objectif clair
  • La notion de séquence
  • La synchronisation du mouvement du souffle et des mouvements du corps
  • La création d’un ensemble cohérent

En substance, le Vinyāsa Yoga repose sur des variations dans les paramètres, la disposition, l’arrangement, la répartition des différents paramètres. Krishnamacharya défini Vinyāsa en tant que groupes de poses dans une plus grande séquence de rites, qui étaient à l’origine dirigés par les Mantras. Il décrit une liturgie initiale composée de l’installation ritualisée ( Nyasa ) de Mantras sur les mains et le corps. Il définit «la séquence de Vinyāsa» comme la chorégraphie de Mantra, Asana, Pranayama et Mudra et nous dit que ce Yoga ritualisé dérive des anciens Shastras. En d’autres termes, il n’a jamais voulu dire « Vinyāsa » pour décrire simplement la séquence des poses. Krishnamacharya a toujours préconisé une pratique qui mettrait l’accent sur la proportion d’angas  (éléments de l’ashtanga de Patanjali) à chaque étape de la vie: plus d’asana chez les jeunes, plus de pranayama dans la maturité et plus de sadhana antaranga (pratique interne) ) dans la vieillesse.

II – La synchronisation des mouvements de la respiration et des mouvements du corps

Krishnamacharya déclare à propos de l’utilisation du souffle dans les Asana : « Par conséquent, combien de respirations pour quels asanas? Quand est l’inhalation? Quand est l’expiration? De quelle façon? Lorsque le corps est allongé vers l’avant, l’inhalation ou l’expiration? Qu’en est-il lorsque vous levez la tête? Connaître ce mystère et pratiquer dans l’ordre s’appelle Vinyasa. »

1) La respiration

La respiration utilisée dans le Vinyasa est une respiration profonde, consciente, sonnore, nasale.

La respiration appartient aux fonctions automatiques. Mais elle peut être réalisée aussi volontairement, avec conscience. Le Vinyasa force le mental à être conscient de chaque inspiration et de chaque expiration, à transformer un mécanisme autonome en un acte  volontaire, à se rendre compte de ce mouvement incessant.Cela exerce la capacité d’attention et d’écoute, et peut développer une sensibilité fine aux mouvements internes du corps. Il peut alors être possible de se rendre compte des liens entre les divers mécanismes de pulsation qui nous animent.

L’inspire et l’expire sont de durée égale, sans rétention. La symétrie de la respiration est un parti pris dans la méthode de Pattabhi Jois, qui va inciter le pratiquant  à respecter toutes les phases du vinyasa. La régularité consciente du rythme respiratoire favorise la cohérence cardiaque, et réequilibre le systéme nerveux. Cela engendre un abaissement des rythmes physiologiques et donc aussi du fonctionnement mental.

La respiration produit un son guttural doux et constant qui crée une vibration dans la gorge, avec des effets apaisants sur le système nerveux autonome. Cette respiration nasale et sonnore assure une ventilation profonde et  produit de la chaleur.

2) A chaque mouvement corporel correspond un mouvement respiratoire.

Les mouvements ascendants, d’ouverture, centrifuges se font sur les inspires; les mouvements descendants, de fermeture, centripètes sur les expires. La régularité du rythme respiratoire soutient et rythme l’enchaînement des mouvements du Vinyasa. En un premier temps la respiration ajoute aux mouvements, amplitude, profondeur, et placement et l’amplitude des mouvements du corps oriente l’amplitude respiratoire dans le buste. Par le biais des tissus conjonctifs  la pulsation des mouvements de la respiration va se propager dans toutes les chaines musculaires en fonction des mouvements corporels. Les viscères, les muscles et les articulations seront à la fois tonifiés et détendus.

La liaison mouvements/respirations exige une attention constante, à la fois à la respiration et au corps. La sensibilité fine va se développer et offrir la possibilité d’une grande économie du mouvement, avec la capacité de dissociation musculaire accrue. Par la répétition des Vinyasa, les facultés de concentration et d’attention vont se développer.Il sera possible d’être pleinement conscient à la fois de la disponibilité et tonicité globale du corps, et de l’engagement intense précis de certaines zones corporelles.

La respiration facilitant les mouvements et les mouvements donnant de l’aisance à la respiration, la liaison entre les deux processus va s’installer comme une évidence naturelle.

III – le déploiement et la résorption de l’état d’Asana.

Un Asana, est une expérience, un acte, un évènement. Il appartient au monde phénoménal, et obéit à ses lois. Une des descriptions des phénomènes les plus commune à la tradition Indienne en générale est ce processus cyclique d’émanation, maintient, résorption. La forme et le processus du Vinyasa offrent la possibilité d’une expérimentation directe de la cosmogonie Indienne.

Le Vinyasa est le chemin qui nous mène à l’état d’Asana, nous y maintient et nous en ramène. C’est le flux qui nous porte d’Asana en Asana. Il serait même plus juste de dire que nous faisons les postures entre les Vinyasa, plutôt que les Vinyasa entre les postures. La posture ne sera pas la même suivant le chemin emprunté, si le Vinyasa change, l’Asana change. Pour  Pattabhi Jois, l’Asana est une phase du Vinyasa et vice et versa. Il décrit ainsi les Asana : «Tel Asana a 5 Vinyasa, dont le second et le quatrième représente l’état d’Asana.»


L’Asana, la posture, physique et psychique, est envisagée d’emblée dans toutes ses dimensions, dans le temps et l’espace. L’état d’Asana n’est pas séparé de son origine. La posture de référence, initiatrice, initiale et finale est Samasthiti, évocation de la verticalité, de l’immobilité, de la stabilité, de l’équilibre. Depuis cette verticalité le vinyasa va suggérer la posture évoquée, réunir les conditions optimums pour que cette posture se réalise intégralement. Cela restitue aux Asanas tout leurs sens, en le replaçant dans son contexte, c’est-à-dire, une manifestation graduelle de l’unité dans des formes variées. La référence à la source, est représentée et vécue autant dans la posture que dans la respiration (expire) du Samasthiti. L’absolu est présent, et il est proposé comme source et finalité de toutes manifestations.

La qualité et la quantité de mouvements permettant l’épanouissement d’une certaine posture au monde dépendrons de l’intention sous jacente, des caractéristiques structurelles visées et des capacités corporelles et mentales du pratiquant.

Le Vinyasa vise une parfaite liaison des éléments du processus d’émergence et de désintégration de l’état d’Asana par :

  • la présence attentive de chaque instant
  • la cohérence et la logique de la succession des mouvements corporels
  • la connaissance et l’adaptation des diverses modalités possibles (nombre de respirations, décomposition des mouvements…)

Les grandes lignes du Vinyasa ont été codifiées par Krishnamacharya et Pattabhi Jois. Ils proposent un cadre se référant à Suryanamaskara. C’est un modèle linéaire, dans le plan sagittal, d’une grande simplicité, cultivant la liaison des centres corporels et la puissance (force). Ce dépouillement permet d’ajouter, si nécessaire, des mouvements intermédiaires exigés par l’alignement interne de l’état d’Asana, en essayant au maximum de préserver l’élégance et l’efficacité de la simplicité de la méthode.


IV – Le rythme, le compte

Abdiquer à plus grand que soi.

Le compte du Vinyasa décrit un arrangement spécifique des postures et la façon de les aborder et de les quitter. Cette exigence répétitive et rigoureuse est une auto éducation, une façon d’abdiquer le volontarisme personnel (plus rien à choisir, décider, évoquer, préférer, rejeter, ou prouver).

Le compte de du Vinyasa est une façon de mettre Citta au repos et ainsi peut ouvrir un espace-temps interne nécessaire à l’expression du Prana. En renonçant à toute forme de volonté de «faire une pratique»,  en en acceptant librement de se conformer à une structure imposée, il est possible de laisser «ce qui est plus grand que soi» de s’exprimer.

L’acceptation de la rigueur de cette trame, est une abdication sans restriction à sa nature réelle, l’abandon exprimé par toutes les dimensions du corps de l’illusion  d’être un individu séparé, autonome, vécu dans le corps et le psychisme.

Alors cette pratique apparemment austère et autoritaire, devient extase et célébration du silence et de l’espace en soi. C’est l’expérience directe du Soi qui surgit.

La succession ininterrompue et rythmique, alternant les phases dynamiques et statiques….Vers le silence, l’immobilité :

Le compte ininterrompu et régulier des respirations des mouvements et des postures va créer un rythme. Comme dans une danse, cette eurythmie crée par le Vinyasa permet au corps de mieux libérer son potentiel de force et de souplesse dans les postures. La rapidité ou la lenteur importent peu. La vitesse de réalisation du Vinyasa sera fonction éventuellement des conditions extérieurs (chaleur, froid..) de l’état du pratiquant (fatigue, agitation, intoxication, âge..). Pattabhi Jois a parfois insisté sur la promptitude de réalisation du vinyasa, pour « entretenir le feu ». Il a aussi engagé les pratiquants à effectuer des inspirations et des expirations de 10 à 15 secondes… selon le temps imparti à la pratique.

L’essentiel semble être la régularité, le rythme du compte qui s’exprime dans l’attention portée à la synchronisation des mouvements du corps et de la respiration. Cette cadence interne peut induire, comme le son d’un tambour, un état méditatif propice à la réalisation du Yoga en soi : le vécu du silence.

Le déroulement du compte des respirations, la variété des postures, l’alternance des phases dynamiques et statiques, l’apparente diversité de cette pratique, vécue en pleine conscience se résorbent naturellement dans l’immobilité de l’observateur silencieux.

En s’immergeant dans ces rythmes, en portant son attention sur l’inséparabilité des mouvements, des respirations, la continuité dans l’alternance, il est possible de se libérer de la linéarité du temps et d’en saisir l’essence. Dans certaines pratiques, il est question de saisir le vide dans les intervalles. Mais ce qui est proposé dans le Vinyasa, c’est de discerner l’union, à travers la discontinuité apparente.

Comme dit David Swenson
Le vinyasa est beaucoup plus qu’un enchainement physique, c’est une danse avec l’énergie de l’univers.

Le compte du Vinyasa

Ce « compte du Vinyasa » a évolué au cours du temps. Il existe des petites divergences suivant les enseignants pour aborder ou quitter telle ou telle posture. K. Pattabhi Jois décrit en détail ce compte dans le Yoga Mala.

Le compte du Vinyasa provient du compte de Sûryanamaskâra, où le nombre, vocalisé en sanscrit, (en anglais ou en Français…) correspond à un mouvement particulier du corps et soit pendant un inspire, soit pendant un expire.

Le compte Vinyasa se dit en sanskrit :

1 = ekam; 2 = dve; 3 = trīṇi; 4 = catvāri; 5 = pañca; 6 = ṣaṭ; 7 = sapta; 8 = aṣṭau; 9 = nava; 10 = daśa; 11 = ekādaśa; 12 = dvādaśa; 13 = trayodaśa; 14 = caturdaśa; 15 = pañcadaśa; 16 = ṣoḍaśa; 17 = saptadaśa; 18 = aṣṭadaśa; 19 = ekonavimśatiḥ; 20 = vimśatiḥ; 21 = ekāvimśatiḥ; 22 = dvāvimśatiḥ; 23 = trayovimśatiḥ; 24 = caturvimśatiḥ; 25 = pañcavimśatiḥ; 26 = ṣoḍavimśatiḥ; 27 = saptavimśatiḥ; 28 = aṣṭovimśatiḥ………

Vinyasa complet ou (demi)Vinyasa :

Il existe deux façons de compter et donc de pratiquer selon la méthode de Pattabhi Jois :Le Vinyasa complet, qui est le compte originel tombé en désuétude ou le demi-Vinyasa qui est le plus connu et enseigné.

Le demi-Vinyasa est un « raccourci » du Vinyasa complet. Pour comprendre la logique du compte du demi -Vinyasa, il faut avoir en tête le Vinyasa complet. Le Vinyasa complet, selon K.Pattabhi Jois est très bon mais peu de gens ont assez de temps ou assez de force pour le faire. C’est pourquoi il est possible et correct de pratiquer avec le demi-Vinyasa.

Exemple avec Marichyasana C, 18 Vinyasa, l’état d’Asana au 7 ieme et 12 ieme Vinyasa

Le Vinyasa complet

Avec ce compte toutes les postures commencent et se terminent à Samasthitti (qui n’est pas compté). L’état d’Asana est un des comptes du Vinyasa où l’on reste plusieurs respirations. Pour les postures debout, on peut éventuellement sauter en Samasthitti entre chaque variation des postures.

Le demi vinyasa:

Avec ce compte toutes les postures commencent et se terminent à Adho Mukha Svanasana. Pour les postures debout, on saute en Samasthitti entre chaque posture.

Le nombre de respirations comptées dans les postures varie.

En général le temps d’immobilité dans une posture est de 5 à 10 respirations, sauf pour Sirsasana, pour les débutants et pour guérir une maladie particulière. Dans ces situations, il est demandé de rester dans l’état d’Asana, soit minimum 10 minutes, soit 50 à 80 respirations, soit « aussi longtemps que possible ».